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Ce ne sont pas tant les objets qui habitent le monde que le monde qui est habité par les objets.

C’est ce que semble vouloir nous démontrer Jérémie Boyard avec ses œuvres pleines d’une ironie sincère. Chacune d’entre elles est une tentative de formuler un énoncé sur la nature des échanges et le type de relations que l’homme entretient avec son environnement : sociale, économique, politique, mais aussi poétique et sentimentale. Le décalage entre ces différents niveaux de réalités et le discours de l’artiste provoque un sentiment d’étrangeté et de vague ambiguïté. Des portes s’ouvrent, mais rien n’est fixé, aucune interprétation ne saurait prévaloir sur une autre. Ces œuvres sont des métaphores qui donnent à réfléchir le monde dans son ensemble plutôt qu’à travers le seul prisme de l’art.

L’on pourrait voir dans sa manière d’aborder l’existence une forme d’hédonisme, préconisant la connaissance de soi et l’expérience du réel, plutôt qu’une quelconque doctrine formaliste. L’artiste préfère absorber le monde, en étant perméable aux influences, sans toutefois se laisser distraire par les idées reçues. Ainsi, son champ d’expertise ne se limite pas aux arts plastiques, il englobe un ensemble de références touchant à la fois au design, à l’industrie et à la culture populaire.

En bon disciple de Marcel Duchamp, Jérémie Boyard assemble et organise des objets selon un ordre de pensée bien précis. Ce qui ne l’empêche pas d’aimer se frotter à la réalité des matériaux, d’être sensible à la séduction de leur couleur, de leur texture, de leur surface. L’enjeu consiste à mettre à l’épreuve de la réalité chacun de ses gestes successifs, à chaque étape de la réalisation, comme sur une vaste chaîne de montage.

Il y a de l’humour et de la dérision dans les œuvres de Jérémie Boyard, mais aussi de la tristesse. Toute une gamme d’émotions contenues, à l’image de cette boîte de « Regrets » sur laquelle on projette de nombreux scénarios. Ces dialogues intérieurs parlent de la vitesse, de l’obsoles-cence, de la fin du règne des utopies.

Serait-ce l’atteinte de l’âge de raison qui marque le deuil des illusions ? Difficile de conclure aussi facilement, car les jeux d’oppositions sont nombreux et les significations inextinguibles. Reste de ces visions espiègles quelque chose de léger, de flottant, comme un sourire aux lèvres.

Septembre Tiberghien

Jérémie Boyard likes to intertwine fictional narratives with real ones, to highlight the multiple layers of an image whilst using concrete elements of our society and cultures. He observes and plays with a globalised language and a manufactured heritage.

By manipulating and hybridising objects, he shapes a sphere of illusion and playful confusion. By inverting certain symbols, images, and objects, he invokes, through these choices, other ways of experiencing aesthetics.

He tries to draw attention to the unspoken, the unseen, the subversive, the inner beauty. Often, when our perception of time is distorted by aesthetics, we appreciate a differentiated time to feel, observe and reflect on what our cultural heritage is.

 

SCHISMES

Qu’est-ce que l’objet ? C’est d’abord une projection des nos idées sur ce qui le constitue, pour devenir une réalité matérielle et enfin redevenir une source de projection fantasmée.

Nous nous appuyons sur notre environnement direct afin de circonscrire par la forme et le contenu, une chose présente à nos yeux, voire notre pensée. Or les deux ne sont pas à confondre, l’objet et la chose. L’objet renferme en lui-même tous les possibles de pensées, de désirs, d’histoires et de références. Alors que la chose n’est qu’un item réel ou non, indépendant de nous même. Elle devient alors le phénomène du « faire », bras outillé de l’objet. Si la différence est de taille, dans le travail de Jérémie Boyard elle devient une occurrence, un point de rencontre où s’équilibre et se déséquilibre, au grès des paramètres, une pratique discursive.

L’objet est donc un vecteur de valeur immatérielle (outre ses qualités matérielles). La chose devient une source d’informations : symboliques, relationnelles et historiques. Tout l’enjeu de Jérémie Boyard est de réveiller ces éléments et références afin d’en créer un langage plastique concentré. Sa stratégie de convoquer tous les éléments contenus dans l’item quelque soit son origine : industrielle ou artisanale, porte en elle une réflexion poussée sur ce qui est « fait ». C’est à ce moment là que les choses redeviennent des objets, c’est-à-dire porteur d’éléments qui suscite une projection. L’enjeu n’est pas que philosophique mais aussi historique voir géographique dans son travail.

Il convient de d’abord définir le cycle d’un objet dans un monde contemporain industriel. Tout objet, dans ce cadre là, obéit au même processus : pensée, dessin, prototype, objet, vie de l’objet, obsolescence de l’objet. Et c’est dans ce cycle de l’usure que les interventions de Jérémie Boyard sont fondamentales, elles touchent parfois chacune de ces étapes ou seulement un élément. Il interrompt ce cycle et réactive ainsi, par la picturalité, des sens omis de l’objet originel.

L’item de départ ressource la réflexion à travers son origine, ses matériaux, ses usages et circonscrit par le monde qu’il contient, l’objet final. Que l’élément de départ soit une image, une chaise ou un capot de voiture. L’objectif est de travailler ces éléments dans une pratique vernaculaire, c’est-à-dire locale ou qui s’intègre idéalement dans un environnement précis, comme un contre pouvoir à la production globalisée. Jérémie Boyard déploie les informations contenues dans une chose pour les reconcentrer dans une autre. Il s’agit d’un glissement subtil d’un sens vers un autre, un exercice de disparition.

Le point crucial de obsolescence de l’objet, c’est-à-dire, l’imminence du stade de déchet, est sûrement le point de basculement que Jérémie Boyard travaille le mieux. Il ressource les objets d’un potentiel de réflexion picturale au stade même où le potentiel d’utilité semble éteint. Il déplace ainsi une matière obsolète, anonyme et industrielle vers l’incarnation unique. Humblement nourri des processus de l’Arte Povera, il s’intéresse particulièrement aux déplacements mentaux qui s’opèrent, lorsque l’on ré-attribut des qualités à un objet, au propre comme au figuré. A comment, l’obsolescence est une caisse de résonance à l’anomalie, et que cette anomalie est une résistance.

L’anomalie est ce moment où l’objet atteint un espace dysfonctionnel. Et c’est à cet instant précis que l’exception peut apparaître et avec lui le potentiel d’un statut d’œuvre d’art. Il crée ainsi une césure dans le cycle de l’objet et le fait ramifier autrement et dont la résilience sera objet d’art.

La mise en forme de ce à quoi l’objet est lié est un exercice qui demande une incroyable ressource culturelle. En effet, survoler l’histoire des matériaux ou simplement l’histoire des arts appliqués pour exercer n’est pas suffisant pour procéder. La clef du processus du travail de Jérémie est la pleine conscience que la forme elle-même est culturelle et qu’elle s’hybride. Selon l’objet de son intention il va donc modéliser les relations sociales inhérentes à son projet. Ce qui est caractéristique, c’est que les liens mis en évidence sont souvent en relation avec l’univers industriel, les modes de productions, les rapports de l’homme à lui même et sa consommation. Cela suggère autant de rapports de force mis en balance. Encore plus, lorsqu’il s’agit de redonner à un objet une valeur autre que marchande. Seule la main, peut patiner cet objet pour lui redonner une dimension symbolique et unique. C’est ce rapport de force qui s’engage plastiquement dans son travail.

Il dé-assemble, en sélectionnant les qualités spécifiques de la chose, dans un espace et un temps qui est celui de la main. Dans l’idée du vernaculaire, il existe un rapport puissant à l’homme et ses limites, que ce soit dans l’échelle de l’objet ou dans l’espace-temps dans lequel il s’inscrit. La main vue comme outil ultime de l’esprit oblige à reconsidérer l’échelle de ce qui nous entoure. Les interventions opérées percolent ainsi de référence d’origines pour redonner une signature à la chose afin de le rendre objet. Cette intervention n’est donc possible que par la singularité de la main non automatisée qui lui redonne un contenant : lui-même.

On serait alors proche d’une pratique du ready-made à la différence près que Jérémie Boyard hiérarchise les références. Il ne redonne pas à voir la même chose dans un contexte différent. Il donne à voir autre chose dans le même contexte. C’est le caractère même de son travail : C’est comment il va faire remonter la référence principale comme une couche picturale en peinture qui aurait la dominante. [avoir la dominante]

Il ré-introduit ainsi une charge utopique à des « natures mortes » industrielles. Elles deviennent des manifestes de la destruction devenue création et des rapports d’attirance et de répulsion que l’humain entretient avec le monde. C’est dans ce double mouvement oscillant d’un extrême à l’autre que le travail de Jérémie Boyard scrute les failles sur lesquelles s’appuyer plastiquement. Elles deviennent ainsi des « nids » à pensées et références comme autant de capsules temporelles et géographiques. Ainsi d’entités à l’histoire normée, ces objets deviennent autant de jalons qui racontent notre histoire humaine autrement. Il ré-ajuste modestement le fruit de nos imaginaires de consommateurs en valorisant le hasard et le sensible, qualités peu compatibles avec l’histoire moderne. Mais en re-créant un objet, il rend aussi hommage à tous les inventeurs et créateurs passés.

Michèle Rossignol.

SCHISM

What is an object ? At first, it is a projection of our ideas onto a substance of the object itself, which becomes a material reality and finally, returns to the stage of hypothetical projection.

We rely on our immediate environment in order to isolate a thing that we see with our eyes, or sometimes in our thoughts. To do that, we often use the form and the content of an object. Yet we shouldn’t confuse the two: the object and the thing.

The object incorporates all possible thoughts, desires, histories and references. While the thing is nothing but an item which may be real or not, independent of ourselves. As such, it becomes a manifestation of the act of making, the equipped part of the object.

In Jérémie Boyard’s work, this major difference transformes itself into the background of his creation, a meeting point for a discursive practice which, depending on the detail, may be either stable or unstable. 
In this light, the object is a vector of intangible value (aside from its material qualities). The thing becomes a source of information: symbolic, relational and historical.

Boyard’s concern is to awaken these elements and references in order to create a concentrated artistic language. His strategy of invoking all the elements contained in an item – no matter if its origins are industrial or handmade – carries a deep reflection on the concept of ‘making’: the moment when things turn into objects by embedding the elements which elicit a projection. Treated as such, the subject of his work is not only philosophical but also historic and geographical.

At this point it is interesting to recall the cycle of an object in a contemporary industrial world. Every object in this context follows the same process: conception, design, prototype, product, object life and then object obsolescence. It is in this cycle of deterioration that Boyard’s intervention gets fundamental.

Sometimes referring to only one particular stage of the process, sometimes choosing to treat it as a whole, the artist interrupts the cycle by using pictorial representation, and reactivate the meaning which can’t be found in the original object. The initial item feeds the reflection through its origins, materials and usage and define the final object.


Whether the primary element is an image, a chair or a car hood, Boyard’s objectif is to integrate it into a vernacular practice (meaning local or being part of a precise environment) as a counter-force to globalized production. Doing it, the artist make use of information contained in a thing to re- concentrate it into another one. His work conveys a subtle shift of meanings, an exercise in disappearance.
The critical point of the object’s obsolescence lies at the heart of Boyars practice. He invests the objects with the ability to reflect, in a pictorial manner, the very stage where the power of utility seems removed.

In this way he moves an obsolete, anonymous and industrial material towards its unique incarnation. Humbly influenced by the Arte Povera processes, he is particularly interested in the mental change taking place when objects qualities are re-attributed, both literally and figuratively.

In its approach the obsolescence may be seen as a box of resonance to the anomaly which becomes a resistance. The anomaly itself can be defined as a moment when the object reaches a dysfunctional space. At this precise instant object’s exceptional character can appear, and with it, the potential status of an artwork. By creating an interruption in the object cycle, Boyard makes it branch out differently. It is the resilience resulting of this process which will enable him to produce an art object.
Definition of the object’s associations is an exercise which demands a considerable cultural resource.

Indeed, it isn’t enough to survey the history of materials or the history of applied arts. The key to Boyard’s way of working is the full awareness of the form itself as a cultural construction and an amalgam. Accordingly, he models the social relationships inherent to his project, depending on his intended object. Links with the industrial world, its modes of production, but also relations of the man to himself and his consumption find in this set the central place. A balance between those different forces can be felt when a value other than commercial is given to the object. In Boyard’s works, only the hand can finish an object, and this fact provides it with a symbolic and unique dimension.


 He divides the things, by selecting their qualities in a space-time of a hand. In this concept of vernacular creation exists a powerful link to man and his limits, whether that be in the scale of the object or the space-time which it inhabits. If the hand is seen as the mind’s ultimate tool, it requires to reconsider the scale of what surrounds us.

The intervention operated by the artist, pervade the original références to give back a signature to the thing which becomes an object. This artwork is therefore only possible through the singularity of the non-automated hand which gives it a new container: itself.

We are therefore close to a ready-made practice with the exception that Jérémie Boyard places references into hierarchy. He is not displaying the same thing in a different context but rather placing different things in the same context. It is indeed the very character of his work: his way of highlighting the main reference as though it were the dominant paint layer in a painting. 
He introduces a utopic quality to industrial ‘still lives’ which become manifestos of destruction, creation and of the relationships of attraction and repulsion that human beings have with the world. It in this double movement, oscillating from one extreme to the other, Jérémie Boyard’s looks for the flaws which will form the basis of his artwork.

Accordingly, they become ‘nests’ of thoughts and references, sorts of time and geographical capsules. From entities with a standardized history, these objects become landmarks which tell our human history differently. He modestly adjusts the fruit of our consumer imaginations by prioritizing the chance and the signification, qualities which are hard to reconcile with modern history. 
But by re-creating an object, he also pays tribute to all past inventors and creators.

Michèle Rossignol.